lundi 18 octobre 2010

MARX ET LE VOCABULAIRE

Cornelius Castoriadis est un penseur intéressant. Fines observations, analyses pertinentes et conclusions parfois biaisées. C’est qu’il ne peut se détacher de la doxa, quoiqu’il en ait.

Il a un rejet presque viscéral du communisme. Il ne cesse de parler de « mystification communiste », d’ « erreurs communistes », d’ « horreurs communistes ». En fait, il ne fait référence à rien de communiste. Juste aux dérives d’un régime qui s’en réclamait. Comme s’il suffisait de mettre une étiquette pour que la réalité s’y soumette.

Le communiste est un concept. C’est le mot qu’a choisi Marx pour désigner ce qui viendra après le capitalisme. Il n’y a, dans l’œuvre de Marx, rien qui permette de définir une mise en œuvre de ce concept. Pour faire simple, il nous dit : le communisme viendra et ce sera bien. Sur la mise en place pratique, pas un mot.

Alors, forcément, ceux qui veulent aider le communisme à venir, ils inventent une mise en place. Ils puisent dans Marx et ils adaptent. Marx parle de « capitalisme d’Etat », les Russes créent des entreprises d’Etat. Elles ne sont pas capitalistes puisqu’elles ne dépendent pas du marché. Ce sont juste des entreprises avec des capitaux d’Etat. Comme si les capitaux faisaient le capitalisme. Peu importe. On décrète que le capitalisme d’Etat, c’est ça. Bien entendu, ce n’est pas ça et ça ne peut pas être du marxisme. On a appelé ce système le marxisme-léninisme. Et puis, par une dérive sémantique courante, on a dit que c’était du communisme, puis on a affirmé que c’était LE communisme. Et quand le marxisme-léninisme s’est effondré, on en a conclu que le communisme s’était effondré.

Question : comment un concept peut-il s’effondrer ? Un concept ne tient pas debout grâce à des éléments matériels. Il n’est valide que si le raisonnement qui le crée est valide. C’est même pour ça que c’est un concept. Un concept est détaché du monde matériel et parler de concept à tout bout de champ, à propos de meubles par exemple, revient à faire preuve d’une rare stupidité. Ce genre de glissement biaise les raisonnements.

L’assimilation du soviétisme et du communisme est une erreur majeure. Elle a conduit à penser qu’il ne pouvait y avoir de communisme que soviétique. Le Parti Communiste Français n’en finit pas de porter cette croix. Pour les idéologues de droite, c’était pain bénit (faudra que je fasse gaffe à mes images religieuses, elles collent mal avec une pensée de gauche). La mort du communisme signifiait la victoire du capitalisme et la mort de la pensée marxiste. Victoire à la Pyrrhus, comme souvent, mais quand on ne vit que le présent, c’est bien suffisant. Nous a t-on assez bassiné avec la mort de Marx ! Comme si les faits suffisaient à annihiler une théorie. Les faits, c’est aujourd’hui, ici et maintenant. La théorie a une emprise plus vaste. Elle peut fort bien ne pas s’adapter aux faits d’aujourd’hui et coller parfaitement aux faits de demain. Le réel est évanescent, la pensée durable. Je sais, c’est difficile à concevoir. Faites un effort.

Même Bernard Maris a du mal avec ça. Il écrit un livre pour démontrer que la pensée marxiste fonctionne toujours (la baisse tendancielle du taux de profit, par exemple) mais il ne voit pas bien comme arriver à sa conclusion, c’est à dire au communisme. Il va jusqu’à appeler Freud à la rescousse. Comme si Freud avait à voir avec le communisme.

On sait pas comment ça va venir. Ni quand. J’admets que c’est embêtant. On aimerait bien que les lendemains qui chantent, ce soit demain. Mais vu qu’on a pas le mode d’emploi, on est bien obligés de tâtonner, de bricoler. On fait des essais. Le soviétisme, c’était un essai. Le socialisme à la chinoise, c’est un autre essai. Un essai qui fait suite à un essai manqué qu’on avait appelé le maoïsme. A la limite, on aurait pu considérer (après le Congrès de Tours) que la social-démocratie, c’était aussi un essai. Bon, là, on a aussi trouvé les limites et le FMI est dirigé par un social-démocrate.

On se démerde mal avec les mots, tout simplement parce qu’au fil du temps, on leur a filé une charge sémantique. La connotation, par exemple. Inventée par Locke voici deux siècles. On n’a jamais autant connoté qu’aujourd’hui. La petite sœur, la dénotation, on n’en entend jamais parler. On doit juger qu’elle ne sert à rien. Bien entendu, c’est le contraire. La dénotation, c’est la partie du sens que deux locuteurs peuvent partager. Pour faire bref, la partie du sens qui permet la communication. C’est utile, non ? Non. On ne s’intéresse qu’à la connotation qui est la partie du sens qui gêne la communication. Le plus souvent, c’est les spécialistes de la communication qui se gargarisent avec la connotation. Ils ont fini par en faire un équivalent bancal de la dénotation. On partage les connotations, l’impartageable. Comme avec le communisme.

C’est vachement bien. Ça rentre dans un processus de manipulation qui fait que les mots n’ont plus de sens du tout. Sauf celui que la communauté journalistique veut bien leur attribuer. Et nous faire partager. Par communauté journalistique, j’entends aussi les décideurs politiques et économiques qui fonctionnent de la même manière.

Alors, on entonne tous le même refrain. Le communisme est mort. 25% de l’humanité vit sous un régime ouvertement communiste, mais le communisme est mort. Remarquez, si vous avez bien lu, vous savez qu’on peut le dire. 25% de l’humanité vit sous un régime qui cherche le communisme. Ce qui signifie que les communistes auto-proclamés ne vivent pas sous un régime communiste mais sous un régime en route (peut-être) vers le communisme. L’important, c’est de partir, pas d’arriver. Ça me va assez comme idée, je pense ça pour tous les voyages.

Ça donne raison à tout le monde. Ceux qui disent que les communistes ne sont pas communistes et ne le seront jamais. Ceux qui disent que les communistes sont communistes parce qu’ils le seront un jour. On échange des arguments, tous valables, tous valides. Ça ouvre la porte à la croyance, c’est à dire à la Foi. Ce qui revient à poser la seule question vraiment communiste : le Royaume des Cieux peut-il être terrestre ?

Allez vous étonner après ça qu’il y ait des chrétiens de gauche….

On en reparlera…

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