lundi 23 février 2015

PAUL BOGLIO, MON AMI

Je suis très inquiet. Si ce texte tombe sous les yeux de Paul, il est d’une telle modestie que nos rapports risquent d’en souffrir. Mais je passe mon temps à parler avec des gens qui ne savent rien de lui et aimeraient certainement le connaître.

Racontons. Quand la SNCF a lancé le TGV Sud-Est, nombreux furent les vignerons qui se plaignirent d’une diminution de la production et réclamèrent une indemnisation, parfois conséquente. La SNCF se tourna donc vers l’INRA pour une expertise. Paul était directeur de recherches à l’INRA et il fut désigné.

Je ne sais plus combien de temps, il y passa. Quelques années. Quelques années à élaborer un travail de dentellière. Pour moi, comme pour beaucoup, le problème était simple. Un couloir, un déplacement d’air et basta ! Point du tout.

C’est compliqué la vigne, c’est fragile, c’est subtil. Comme le vin, pour tout dire. D’abord le déplacement d’air, il varie. Avec le profil de la voie, avec la vitesse du train et même avec son poids : les trains du 2 juillet, bourrés jusqu’à la gueule de Parisiens qui cherchent le soleil déplacent plus d’air que ceux du 15 novembre.

Après quoi, l’air (qui est un fluide) se glisse partout où il peut. Un monticule d’un mètre suffit à le dévier ailleurs. Quelques milliers de monticules, encore plus. Des fois le souffle se fait sentir très loin des voies. Des fois, pas du tout.

Et puis, il y a les autres variables : l’âge des vignes, par exemple. Dans certains cas, les vieilles vignes souffriront plus, dans d’autres elles résisteront mieux. Le sol et sa capacité à retenir l’humidité (ou à ne plus la retenir si le souffle le dessèche). Naturellement, le cépage a son mot à dire. Et l’exposition car il y a interférence entre l’exposition et le souffle provoqué par le train.

Quand il racontait, Paul se marrait tellement mes insuffisances étaient criantes. Je croyais connaître et je ne savais rien. Lui passait son temps à visiter les vignobles, à parler avec les vignerons, à voir, parcelle par parcelle, ce qui avait changé. A suggérer des solutions aussi. Tailler différemment et pas à la même époque. Fils de paysan-vigneron, le vin, il connaissait. Intimement.

Je ne sais plus combien d’années, ça a duré. Ce que je sais, c’est que la SNCF a indemnisé et que personne ne s’est plaint.

Je pense à lui tous les jours quand je lis les yakafokon qu’on trouve sur le vin. Forcément. Cette complexité cette subtilité, cette interférence entre tant d’éléments qu’on connaît peu ou mal, ça se prête pas à la destructrice simplification d’Internet. On est à des années lumières du glass of merlot (ou chardonnay) des Américains qui se la pètent. Et qui écrivent des livres sur le vin, of course. Le vin, ça demande des années d’apprentissage, des années d’interrogations, des doutes incessants, des remises en cause permanentes. Et une infinité de quilles vidées, pas pour le plaisir de boire (encore que…) mais par quête intellectuelle et souci d’encyclopédiste.

Pour faire court, c’est un truc de vieux, de vieux bourgeonnés de recherche, d’interrogations, d’incertitudes. Les jeunes, ça leur va pas. Ils ont choisi le vin pour faire carrière (ou faire du fric, c’est pareil). S’il faut être vieux pour faire carrière, c’est fausse route. Et donc, forcément, ils élaguent, ils vont au plus court, au plus rentable. Le cépage, le millésime et roule, ma poule.

Si vous le rencontrez, ne parlez pas de vin à Paul. Il est désormais plongé dans une autre recherche, artistique. Lui, le fils de colon tunisien qui a sillonné les terres d’oc, s’est installé au Pays basque avec sa belle Hélène. Bon, on ne se refait pas et tout ce que je sais des vignobles basques, c’est à lui que je le dois.

J’ai un seul regret : ne pas avoir réussi à faire boire un coup à Paul et à Antoine, ensemble. Je me serais sûrement emmerdé car ils auraient parlé pédologie, sédimentologie et autres sciences dont j’ignore tout… Mais je suis bien sûr qu’il y aurait eu à glaner quand même….

Et c’est pour !a que j’aime le vin : il procure plus d’interrogations que les Dieux…

On en reparlera….

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