mercredi 26 juillet 2017

PRIVÉ-PUBLIC

Qu’est ce qu’un lieu public ? En premier lieu, un lieu appartenant à la puissance publique, un bâtiment officiel. Tout comme un lieu privé est un lieu appartenant à une personne privée.

La différence est fondée sur la qualité du propriétaire. C’est clair, simple et indubitable.

Or donc, voici que, depuis des années, cette différence a été gommée, par l’Etat lui même. Est considéré comme public, tout lieu susceptible d’accueillir du public. Ce qui n’est à l’évidence, pas le cas. .Certains lieux sont des lieux privés susceptibles d’accueillir du public. Tous les commerces, par exemple.

Le commerçant est un homme libre. Cette liberté inclut le choix de vendre ce qu’il veut, à qui il veut, dans les conditions qu’il détermine librement.

Bon, moi je ne m’intéresse qu’aux biens culturels. Les livres, pour lesquels j’ai quelque expérience, mais ce peut être la gastronomie, par exemple. Premier point : il y a des gens qu’on n’a pas envie de servir. C’est pas une question de couleur ou je ne sais quoi. C’est des gens qui te parlent mal. Le mec qui entre chez toi et te dit pas bonjour. Ouais, c’est pas important… Ben si…Moi, le mec qui entre chez moi et me dit pas bonjour, je veux dire normalement, poliment, en français correct, il peut aller crever ailleurs. Moi, je suis un commerçant normal, pas une grande surface à la con. Tu entres, tu enlèves ta coiffure. Ben oui, les codes de la politesse imposent que tu enlèves ton chapeau ou ta casquette. Tu me trouves ringard ? Tu vas ailleurs. Si tu veux pas de mes codes, tu veux pas de ma marchandise. Je te rejette pas. C’est toi qui me rejettes en rejettant mes codes.

C’est toi qui veux m’entraîner dans un monde qui n’est pas le mien. Un monde avec tes horaires, tes envies, tes produits. Moi, je décide de mes horaires, de mes envies, de mes produits. Si ça te va pas, tu vas ailleurs. Tu peux hurler ou pleurer que c’est chez moi que tu veux venir. Tu viens. Mais à mes conditions. Tu refuses de me vendre ? Oui, la loi m’y autorise, si j’ai un motif légitime.Par exemple, si tu te pointes hors de mes heures d’ouverture. En ai-je vu débarquer à 18 h 58, me prenant pour un con avec des explications pourries.. Surtout le samedi, les bras chargés de sacs venus d’ailleurs. J’avais une raison toute prête : vous avez jugé que les achats faits ailleurs étaient prioritaires, tant pis pour vous, j’aime à être en tête de la liste de courses, on a sa fierté... J’en ai juste pour cinq minutes.. Raison de plus : acheter des livres, c’est sérieux, ça se fait pas en cinq minutes, il faut qu’on parle, qu’on échange. Si vous méprisez ainsi le livre, nous n’avons rien à échanger.

Mes clients, les vrais, les fidèles, ils savaient. Ils me pardonnaient tout et je le leur rendais bien… Un commerçant vend un produit. Pas de l’amour ou de la compassion. A fortiori de la compréhension. Ça, c’est en plus, ça se facture pas, c’est si je veux bien. Si tu le mérites. C’est vrai qu’il y a une dimension non-monétaire du commerce mais rien ne la réglemente. Si tu veux que je te comprenne, commence par me comprendre. On appelle ça vivre en société.

C’est basé sur rien. Un feeling, une parole. C’est quasi une relation amoureuse. Non tarifée. Un jour, je vous débarquer un jeune et beau mec qui voulait acheter des cartes pour faire le rallye Abidjan-Nice. On parle, il était un peu largué, il ne connaissait rien à l’Afrique et rien aux cartes. Il soulignait ses lacunes, en demande de connaissances autant que de papier. A la fin, deux ou trois heures après, je lui ai fait cadeau de ses cartes. Le budget était pas énorme, le cadeau pas somptueux, mais il n’a jamais oublié cette après midi. L’année suivante, il créait le Paris-Dakar dont il me nommait cartographe officiel. J’étais devenu copain avec Thierry Sabine. Comme on peut l’imaginer, le cadeau a été remboursé au centuple mais ça ne comptait pas. Thierry a eu des dizaines de propositions pour me remplacer, il a toujours tout rejeté. On avait cette après-midi entre nous que rien ne pouvait acheter. Car, contrairement à ce qu’on en a dit, Thierry n’était pas vénal.

Le commerce, c’est ça. Pas un échange de biens contre un chèque sous le regard froid du Code de la Consommation.

Après, il y a toujours des caguemerdes pour pourrir le jeu. Restau bayonnais. J’y déjeune, comme souvent. Entre un couple avec un gosse d’une dizaine d’années. Ils posent sur la table, bien en évidence le guide qui affirme que l’apéro sera offert sur présentation du dit guide. Le patron offre donc l’apéro. Trois apéros. Et la petite famille commande UN repas en demandant que l’entrée soit servie à Madame, le plat à Monsieur et le dessert au gniard. Ils se croyaient malins : trois apéros pour un menu du jour. Le patron les a virés en leur offrant leur apéro. Avec dignité et fermeté. Ils sont partis la rage aux lèvres affirmant qu’ils allaient écrire à l’éditeur et qu’on allait voir ce qu’on allait voir.

C’est pour ça que les consuméristes me gavent. L’utilisation de la loi pour faire chier les petits commerçants sans s’attaquer aux gros poissons.. La non-prise en compte des petites ruses mesquines qui détruisent le lien commercial. L’acceptation des escroqueries intellectuelles comme ces innombrables « poissons de la criée » qui fleurissent en bord de mer même quand les poissons arrivent en camion d’une criée située à 200 kilomètres.

La destruction du commerce de proximité par l’e-commerce est une catastrophe car cela ramène le commerce à sa dimension in-signifiante : le prix.

Mais, il faudra en reparler


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