jeudi 30 novembre 2017

PRIVÉ-PUBLIC

Qu’est ce qu’un lieu public ? En premier lieu, un lieu appartenant à la puissance publique, un bâtiment officiel. Tout comme un lieu privé est un lieu appartenant à une personne privée.

La différence est fondée sur la qualité du propriétaire. C’est clair, simple et indubitable.

Or donc, voici que, depuis des années, cette différence a été gommée, par l’Etat lui même. Est considéré comme public, tout lieu susceptible d’accueillir du public. Ce qui n’est à l’évidence, pas le cas. .Certains lieux sont des lieux privés susceptibles d’accueillir du public. Tous les commerces, par exemple.

Le commerçant est un homme libre. Cette liberté inclut le choix de vendre ce qu’il veut, à qui il veut, dans les conditions qu’il détermine librement.

Bon, moi je ne m’intéresse qu’aux biens culturels. Les livres, pour lesquels j’ai quelque expérience, mais ce peut être la gastronomie, par exemple. Premier point : il y a des gens qu’on n’a pas envie de servir. C’est pas une question de couleur ou je ne sais quoi. C’est des gens qui te parlent mal. Le mec qui entre chez toi et te dit pas bonjour. Ouais, c’est pas important… Ben si…Moi, le mec qui entre chez moi et me dit pas bonjour, je veux dire normalement, poliment, en français correct, il peut aller crever ailleurs. Moi, je suis un commerçant normal, pas une grande surface à la con. Tu entres, tu enlèves ta coiffure. Ben oui, les codes de la politesse imposent que tu enlèves ton chapeau ou ta casquette. Tu me trouves ringard ? Tu vas ailleurs. Si tu veux pas de mes codes, tu veux pas de ma marchandise. Je te rejette pas. C’est toi qui me rejettes en rejetant mes codes.

C’est toi qui veux m’entraîner dans un monde qui n’est pas le mien. Un monde avec tes horaires, tes envies, tes produits. Moi, je décide de mes horaires, de mes envies, de mes produits. Si ça te va pas, tu vas ailleurs. Tu peux hurler ou pleurer que c’est chez moi que tu veux venir. Tu viens. Mais à MES conditions, vu que t’es chez moi.

Mes librairies ont toujours été « fumeurs ». Tu supportes pas la fumée ? Je comprends. Je comprends d’abord que tu me supportes pas. Notre relation est mal engagée. Inutile de hurler, de râler. T’as pas besoin de moi, et vice-versa. Si tu as besoin de moi,  de mes produits, de mes conseils, tu as besoin de tout ce que je suis. Fumée incluse. Tu peux pas avoir le beurre et l’argent du beurre.

Avec l’ami Gentelle et le copain Vienet, on fréquentait un restau du 18ème, tenu par un mal embouché que j’adorais. Restau fumeur, cuisine classique, et clope au bec du patron. Plaintes régulières et amendes à la clef. Les plaintes, il savait qui…Alors il avait une belle feuille »Réservations impossibles » avec les noms. Ceux qui n’avaient aucune chance, jamais. Il partageait cette liste avec quelques copains qui en faisaient autant. « Font chier. En plus, ils boivent pas. » Je dois dire que j’étais bluffé : il y avait des mecs qui portaient plainte contre un établissement et qui avaient ensuite l’outrecuidance de vouloir y retourner !

J’ai jamais été aux normes handicapés. Jamais. Trop de livres, trop de cartes, trop de bordel. Ça empêchait pas de vivre. Quand Parick Ségal venait préparer un voyage, c’était un voyageur, pas un handicapé. Des fois (souvent) il disait « Là, ça passe pas » et il y avait quelqu’un pour lui filer un coup de main, le plus souvent un client. C’est comme ça un commerce, de la connivence entre clients… Le commerçant, il est là pour lier la sauce. Pas pour considérer que la chaise roulante,  c‘est un grumeau.

Le client est roi. Oui. Mais le mec qui pousse la porte n’est pas un client. Il sera client quand il aura payé. Jusque là, c’est un visiteur, un prospect. Et quand il aura payé, on aura vraiment échangé. On aura parlé. J’en saurais plus sur lui… Visite après visite, notre relation grandira, s’affinera. On est loin d’Amazon. Tout simplement parce que nous avons réintroduit la notion de plaisir dans ce qui paraît n’être qu’utilitaire.

Plaisir dans le commerce ? Pour les biens culturels, oui. Les livres, la musique, la bouffe, les voyages, tout ceci n’est que plaisir. La culture ne peut pas être réductible à un corpus statistique, à des normes, à des processus. La culture est le domaine de l’unique, de l’individuel, de l’individu. C’est chiant pour les managers incultes. Les managers veulent des groupes, pas de l’individu. Les voyagistes modernes fonctionnent sur les codes. ESP si tu veux aller sur une plage de la Costa Brava. ESP si tu veux visiter les Alpujarras. ESP pour un week end à Bilbao….Idem pour les éditeurs et les marchands de bouffe. Et donc, ESP, c’est paella, même à  Bilbao. Normalement, à Bilbao, c’est morue à la biscayenne. Mais y’a pas de code pour le Pays basque. Alors on se démerde, on fait dans l’approximation et tout le monde fait semblant d’être heureux.

On en reparlera.


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