jeudi 24 mai 2018

L'OC EST OUT

Il me regarde comme si j’étais une défécation aviaire tombée par hasard sur sa boutonnière qu’il doit déjà imaginer rougeoyante.

« Monsieur Chabaud, avec votre accent tonique, vous ne comprendrez jamais rien à la langue française ».

Bon, c’est dit. Lui, il est normalien, assistant de l’honorable Claude Régnier, Professeur de littérature médiévale à la Sorbonne. Il doit savoir de quoi il cause. C’est vrai que je collectionne les bulles. L’ancien français a évolué sous la pression de l’accent tonique et je suis toujours à côté de la plaque. J’y comprends rien. Et je ne veux pas comprendre.

Il me faudra trente ans pour démêler le nœud gordien. Ce vieux français qui finira par donner cette langue que j’adore, c’est le patois merdique d‘une bande de sauvages, picards, artésiens, un peu germains qui gutturent plus qu’ils ne parlent. On appelle ça le français d‘oïl. Moi, le fils d’oc, je n’ai aucune passerelle pour accéder à cette chose. Et je ne connais pas encore la bataille de Muret et la destruction de la noblesse d’oc par Simon de Montfort, génocidaire pré-hitlérien.

Quand je prends l’apostrophe, cela fait quelques décennies que de braves médiévistes et d’intellectuels chenus passent leur lumineuse vie à rapetasser les liens entre le français et les patois des vieux ch’tis. Je ne veux voir qu’une seule ligne !

Tout ceci remonte lors d‘une prise de bec avec une jeune fille qui ne veut pas que je boute le feu au XIème siècle. « Le mot apparaît à peine en français, regarde Greimas ». Ben oui, Greimas semble lui donner raison mais « Soyons sérieux, à cette époque on construit la cathédrale de Compostelle et on y installe le botafumeiro, celui qui boute la fumée ». Non mais !!! C’est pas une gamine qui aura le dernier mot. J’avais oublié les ressources de la rhétorique féminine. « Forcément, si tu mêles ancien français et ancien espagnol…. »

Mais ils étaient mêlés !! C’est obligé. Comment il fait Rotrou du Perche pour causer avec Alphonse le Batailleur ? Il utilise Gougleu ? Non, les passerelles étaient nombreuses avant d‘être détruites. C’était beau la filiation germaine pour la langue. Mieux que les patois rustiques aux accents toniques déficients.

Depuis Muret (1213), les langues d‘oc tirent la langue pour revenir dans le concert national. Molière, avec ses pègues, n‘a pas eu le succès escompté et il faut un amendement à la loi pour faire vivre la chocolatine. Avec l’assistant oc-phobe qui a rejoint l’Académie française, ça va pas s’arranger. Y’a guère que « putain » qui a tiré son épingle du jeu. A l’époque où sévissait Régnier, mes « putain » récurrents me signalaient comme un méridional bouseux de la rue Dauphine au jardin du Luxembourg tandis qu’aujourd’hui on remarque avant tout ceux qui n’ont pas ce juron à la bouche. Il faudra bien un jour que la filiation romane revienne dans le jeu philologique et que l’apport du sud à la beauté de la langue soit reconnu.

Bon, c’est pas gagné. En nos temps, s’il y a impact du Sud, faut bien reconnaître que l’on parle d’abord du Sud du Sud. Le travail de Pagnol a amélioré la position de la Provence mais la Novempopulanie reste absente. On aurait pu croire qu’avec Montaigne…pourtant, nulle postérité. 

Quoique :
« Pardon, Madame, c’est loin, Bardos ?
- D’ici étant, dix minutes. »

« D’ici étant ».. Expression commune et superbe qui fleure Rotrou du Perche. Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas approfondi la question. A cause de l’accent tonique. Pas la seule. « Va serrer tes affaires ». Serrer. Montaigne l’emploie aussi. « Saquer ». Il faut être aveugle pour ne pas y voir le « sacar » espagnol dont Albert Lévy affirmait qu’il était entré dans le français par la communauté séfarade de Bayonne. Le CNRTL affirme que c’est un dérivé de « sac », avant de concéder que la première occurrence française est Le Couronnement de Louis, partie du cycle de Guillaume d’Orange. Narbonne, Orange, villes picardes ?  Les considérations étymologiques sont complexes pour arriver à faire le lien entre « sac » et « saquer » alors que le sens espagnol est exactement  le même que le sens français. Il faudra un jour que, comme les biologistes, les philologues admettent que les solutions simples et élégantes sont les meilleures. C’est une règle épistémologique.

Depuis Napoléon III, les philologues s’évertuent à éradiquer toute trace d’oc dans la construction de la langue française. Le Rhin surpasse la Garonne. On choisit ses ancêtres. Napoléon III avait préféré les Gaulois aux Germains, gommant les Francs du roman national. Les Romains abandonnés reprirent leur place grâce aux Gallo-Romains et l’oc devint un supplétif du latin. Quant au gaulois, celte comme le gaélique, le manque de sources l’a placé derrière le germain dans le réservoir des origines.

Et donc, mon vieux professeur, je n’avais pas l’accent tonique, mais il me restait le lexique. Chez moi, on flambe les portes ce qui ne signifie pas qu’on les brûle mais qu’on les ferme avec violence, la violence du feu. Sens que le CNRTL ne signale pas. Mais, d‘ici étant, le CNRTL, c’est bien loin. D‘ailleurs, il ignore la chocolatine.

Le CNRTL est un organisme de leugnes, vieux mot de chez moi qui désigne des bouts de bois inutilisables et un peu pourris, avec une belle étymologie latine, celle de la lignite. Chez moi, c’est un conservatoire de mots que le CNRTL ignore. Ils doivent être noyautés par les Alsaciens. Seule Florence Delay pourrait m’aider.

On en reparlera



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